Psychothérapie : la question n’est pas de savoir si on peut se permettre de l’offrir, mais bien de savoir si on peut se permettre de ne pas l’offrir

L’Organisation mondiale de la santé estime que la dépression est la première cause d’incapacité et qu’elle contribue fortement au fardeau mondial de la maladie. On estime par ailleurs qu’au Canada, environ 20 % de la population sera affectée par un trouble mental dit transitoire, dont la dépression. Ces troubles sont associés à une dégradation marquée du fonctionnement des individus, à une dégradation de leur qualité de vie, et à la mortalité par suicide, en plus de représenter des coûts considérables tant en coûts directs liés aux soins qu’en coûts indirects liés par exemple à une baisse de la productivité. Toujours au Canada, on estime que les coûts associés aux problèmes de santé mentale atteignaient 52 milliards de dollars en 2006. C’est beaucoup. Peut-on dès lors imaginer qu’en assurant les frais liés à la psychothérapie, en la rendant accessible à tous ceux qui pourraient en bénéficier, en payant donc davantage de professionnels pour offrir ce service, nous pourrions récupérer notre investissement ? Aujourd’hui, avec ce billet, j’aborde la question froidement, faisant fi délibérément des considérations humaines.

Dans le cadre de nos travaux avec l’INESSS pour le compte du ministre de la Santé, nous avions déjà établi, à la suite d’une revue systématique, que l’économicité de la psychothérapie dans le traitement des troubles anxio-dépressifs est équivalente à celle des médicaments à court terme (et même supérieure lorsque la thérapie est offerte en thérapie de groupe), et supérieure à la pharmacothérapie à plus long terme. C’est un début; mais est-il possible d’être encore plus précis?

C’est le défi que mes collègues H.M. Vasiliadis, A. Lesage, E. Latimer et moi-même nous sommes récemment donnés. Dans une étude de modélisation socio-économique qui devrait paraitre sous peu, nous avons estimé les conséquences — notamment les conséquences financières — de la dépression et de son traitement (ou de l’absence de traitement) sur une période de 40 ans, le tout étayé par des données canadiennes et établi selon une modélisation rigoureuse. Sans surprise, puisque d’autres ont trouvé des résultats similaires auparavant, la modélisation démontrait qu’un meilleur accès à la psychothérapie menait à une réduction de la souffrance et à une augmentation de la qualité de vie liée à la santé. Cela en soi devrait suffire comme argumentaire. Mais imaginons un instant que tout n’est question que d’argent. Qu’en est-il donc des coûts et surtout du retour sur l’investissement ?

Eh bien, au Canada, pour chaque dollar investi dans un programme d’accès à la psychothérapie, notre modèle indiquait qu’il y aurait environ 2 $ d’économie à la société.

Qui dit mieux ? De toute évidence, la question n’est plus de savoir si on peut se permettre d’assurer la psychothérapie, mais bien de savoir si on peut se permettre de ne pas le faire.

 

4 commentaires pour "Psychothérapie : la question n’est pas de savoir si on peut se permettre de l’offrir, mais bien de savoir si on peut se permettre de ne pas l’offrir"

  1. La prévention en santé mentale est encore plus payante.

    Ainsi les diverses études faites sur le sujet concluent que chaque dollar investi en prévention de la santé mentale fait sauver au moins 7$ à la société. On ne pourrait mieux faire si on investissait réellement dans la prévention. Mais cela demande une visée à moyen et long terme, ce que nos politiciens ont de la difficulté à faire.

    J’ai été bénévole à S’association canadienne pour la santé mentale, ACSM, division du Québec, pendant plus de 28 ans.

     
  2. Martin Drapeau

    Bonjour Réjean,

    Rappelons que le propos de mon billet porte sur la psychothérapie, donc sur ce qui peut se situer en aval de l’apparition d’un trouble, et non en amont, où l’on pourrait situer la prévention. Ceci dit, tu fais bien de rappeler toute l’importance de la prévention, et l’importance, donc , de planifier à plus long terme. Offrir des traitements sans offrir de programmes de prévention est équivalent à se limiter à éteindre des feux; l’inverse est équivalent à nier que malgré tous nos efforts en prévention, cela ne peut suffire. Il faut donc les deux.

    Je ne sais trop d’où provient l’affirmation à l’effet qu’il y aurait $7 d’économie pour chaque dollars investi en prévention (il serait bien de donner l’hyperlien vers le document d’où cela provient, ce qui permettrait à nos lecteurs de se familiariser davantage avec le sujet), mais il est clair que certains programmes de prévention, auprès de certaines populations, représentent des économies parfois très importantes. Une revue de 2010 conclut par exemple que le retour sur l’investissement pour certains programmes de prévention visant ou impliquant les jeunes peut varier entre environ $2 et $17 par dollar investi, ce qui est considérable. La promotion de la santé mentale au travail aurait aussi des retombées (en termes économiques) intéressantes, avec un retour de $9 pour chaque dollar dépensé (par ex., McDaid et al., 2011; pour d’excellents résumés, voir les documents produits par CPNET et ICIS, ou encore celui produit par la CSMC).

    Il faut cependant garder à l’esprit que ces montants peuvent varier d’un pays à l’autre, d’un contexte à l’autre, et d’un programme à l’autre. Par exemple, les travaux de Knapp (en 2011) estime que le meilleur retour sur l’investissement en terme de prévention se ferait via des programmes de développement social et émotionnel chez les enfants (e.g., dans les écoles) et de prévention du suicide (par exemple par l’installation de barrières anti-suicide sur les ponts mais aussi de programmes de formation/sensibilisation des médecins de famille). D’autres programmes tels des programmes de prévention de l’intimidation, le développement de réseaux sociaux pour les ainés, et bien d’autres, représenteraient aussi des retours intéressants.

     
  3. Bonjour,

    Je tiens d’abord à mentionner l’excellence de votre démonstration de l’économicité de l’accès à la psychothérapie pour les troubles anxieux-dépressifs. Aussi, j’aimerais amener quelques éléments de discussion supplémentaires. D’abord, j’aimerais mentionner que l’abordabilité des soins en santé mentale n’est qu’un de plusieurs déterminants de l’accessibilité aux soins en santé mentale. En effet, dans le rapport du Commissaire à la santé et au bien-être (2012), cité dans votre étude, ce dernier rapportait divers facteurs associés à la non-utilisation des services en santé mentale. Aussi, tel que mentionné dans le rapport de Lesage et al. (2010) les problèmes d’acceptabilité sont les plus souvent cités pour la non-utilisation des services. Ainsi, il s’avèrerait pertinent de travailler sur ces divers déterminants, tout en travaillant à rendre la psychothérapie abordable à la population québécoise.

    Aussi, advenant l’ajout de la psychothérapie à la couverture de l’assurance maladie québécoise, je serais curieux de connaître quel niveau de couverture devrait-on viser afin de voir un impact significatif sur l’utilisation de la psychothérapie ? La question se pose étant donné que, à titre d’exemple, le Québec en tant que société ne s’est permis qu’une couverture partielle (mixte) du coût des médicaments lors de l’instauration de l’assurance médicaments. Il est d’autant plus intéressant d’aborder cet aspect étant donné le coût relativement élevé de la psychothérapie et de son effet dissuasif variant selon le continuum des inégalités sociales. Autrement dit, imaginons que pour des raisons de conjoncture économique (bien à la mode ces derniers temps), nous ne pouvions nous permettre qu’une couverture publique d’environ 50 % du coût de la psychothérapie. Celle-ci pourrait demeurer non-abordable pour une partie non-négligeable de la population qui s’avère être parmi les plus à risque.

    Sources :

    COMMISSAIRE À LA SANTÉ ET AU BIEN-ÊTRE (CSBE). (2012). Rapport d‘appréciation de la performance du système de santé et de services sociaux 2012 – Pour plus d’équité et de résultats en santé mentale au Québec. Montréal, Qc : CSBE; 2012. Disponible à : http://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier.aspx?idf=71519.

    LESAGE, A., F. BERNÈCHE et M. BORDELEAU (2010). Étude sur la santé mentale et le bien-être des adultes québécois : une synthèse pour soutenir l’action. Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (cycle 1.2), Québec, Institut de la statistique du Québec, 104 p.

     
  4. Martin Drapeau

    Merci pour vos bons mots. La question se pose en effet et je l’aborderai éventuellement dans un blogue. Pour l’instant, soulignons quand même ce qui suit. Nos enquêtes nous indiquent que les psys préféreraient de loin un programme avec couverture partielle des frais de la psychothérapie (plutôt qu’un remboursement complet). Ce qui est intéressant ici, du moins pour un gouvernement, c’est que le coût avec un remboursement partiel est (forcément) moins élevé qu’avec un remboursement total (d’environ $15 par séance). Dit simplement, il en coûterait moins cher au gouvernement s’il ne remboursait qu’une partie du coût. Certains objecteront ici qu’il s’agirait alors d’un modèle mixte. Or, en psychologie, deux des trois grands organismes couvrant (dans certains cas précis) les frais de la psychothérapie permettent déjà au psychologue de facturer au client la différence entre son tarif habituel et ce qui est remboursé. Donc rien de neuf ici. On pourrait aussi objecter qu’en ne remboursant qu’une partie du coût, certaines personnes ne seraient pas en mesure d’aller chercher des services car ils ne pourraient payer la différence entre le montant remboursé et le tarif du psy. Ceci est très, très peu probable. Les tarifs, comme bien d’autres choses, suivent une courbe normale. Les données sont très claires à ce sujet. Ceci veut donc dire que certains psys factureraient beaucoup plus que le montant rembourses, alors que d’autre se contenteraient du montant rembourse (ce qui veut dire aucun frais pour le patient).

     

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