Réflexion sur le Projet d’autosoins

J’ai rédigé d’autres blogues ici auparavant à propos du Guide d’autosoins pour la dépression, un outil d’autosoins gratuit fondé sur des données probantes, qui a été élaboré il y a environ une décennie et qui peut être téléchargé[1] en français, en anglais, en punjabi, en chinois, en farsi et en vietnamien, ainsi qu’en version audio (malheureusement offerte en anglais seulement pour le moment). Des versions du guide, qui sont axées sur l’autocontrôle des humeurs en milieu de travail, pour les adolescents et pour les personnes atteintes de maladies chroniques, peuvent également être téléchargées gratuitement à partir de ce site.

J’appelle cela le Projet d’autosoins, car je crois que les gens disposent d’un très grand potentiel pour devenir plus compétents en autosoins psychologiques. Cependant, notre société parvient mal à partager les connaissances sur des approches d’autosoins efficaces : l’accent est trop mis sur les signes graves de détresse psychologique[2] alors que trop peu d’attention est accordée à la majorité des personnes dont les souffrances psychologiques pourraient être considérablement réduites au moyen d’autosoins efficaces. Je me réjouis plutôt du fait qu’au cours des dix dernières années, plus de 350 000 téléchargements du Guide d’autosoins ont été effectués. Chaque fois qu’une nouvelle traduction est terminée, un autre segment de la population mondiale a accès à ce guide. Bien que la plupart des téléchargements soient effectués à partir du Canada, plus particulièrement du Québec, plusieurs milliers sont faits à partir de la France et du reste de l’Europe.

J’en ai tiré certaines leçons. Premièrement, bien que j’aie été convaincue à plusieurs reprises que les personnes du monde moderne où le Web est omniprésent ne lisaient plus, j’ai réalisé qu’en réalité la plupart des gens ont tendance à se servir du matériel écrit lorsque celui-ci est clair et invitant. (Il demeure vrai, toutefois, que ceux qui se retrouvent dans la tourmente d’un épisode dépressif ont de la difficulté à lire; une personne rencontrée en consultation externe m’affirmait que les patients dépressifs préfèrent souvent utiliser la version audio du guide.) Deuxièmement, ce nombre élevé de téléchargements est vraiment une goutte d’eau dans l’océan, comparativement au potentiel d’amélioration que recèlent les aptitudes en autosoins. J’ajouterais que les membres de notre société qui s’épanouissent psychologiquement utilisent déjà ces compétences (qu’ils en soient conscients ou non) et que tout le monde devrait les découvrir. De nos jours, on parle beaucoup de la résilience psychologique : les aptitudes en autosoins sont au cœur même de la résilience. Troisièmement, lorsque des interventions sont faites au niveau de la population d’une façon réfléchie et agréable, d’importants changements peuvent se produire avec un investissement minimal[3].


[1] www.carmha.ca/selfcare

[2] Ainsi que sur la promotion de traitements pharmaceutiques au lieu d’une psychothérapie qui serait tout aussi efficace.

[3] Il semble que j’adopte ici le ton des discours TED, mais il y a pire dans la vie.

 

4 commentaires pour "Réflexion sur le Projet d’autosoins"

  1. Croyez vous qu’il risque d’y avoir dérive dans l’utilisation d’un guide d’autosoin et de le présenter comme une panacée plutôt qu’un outil parmi une gamme de services tel que proposé par le NICE pour des soins en étapes?

    Que penser d’une organisation qui déciderait d’offrir uniquement le guide d’autosoin à la clientèle qui se présente avec un diagnostic de dépression ?

    Quelles sont les indications et contre-indications à offrir de l’autosoin à une personne souffrant de dépression?

     
  2. Quel article intéressant! J’abonde dans le même sens que vous à l’effet que les approches d’autosoins sont méconnues et sous-utilisées. Effectivement, il faut croire au potentiel de chacun pour surmonter les difficultés psychologiques et prendre en charge (faire l’autogestion) de sa condition. Je pense que l’ensemble de la population a ces aptitudes, il faut pouvoir les outiller pour le mobiliser. Mon projet de doctorat est une étude d’exploration sur les interventions d’autosoins pour les troubles de la conduite alimentaire. J’ai la conviction qu’offrir des interventions d’autosoins rapidement dans la trajectoire d’un trouble de la conduite alimentaire aurait pour effet d’en améliorer l’issue, d’éviter les rechutes et la chronicité.

     
  3. Dan Bilsker

    Bien qu’il soit possible que certaines agences de services en santé mentale tentent de remplacer les services de thérapie psychologique par la référence à un outil d’autosoins, je n’ai pas vu cela se produire et je ne crois pas que ce soit probable. Le résultat le plus probable, du point de vue d’une clinique axée sur le traitement de la dépression, est que l’outil d’autosoins sera mis à la disposition des personnes sur la liste d’attente et offert en complément à l’intervention offerte par la clinique. Du point de vue des soins primaires, de nombreux patients qui autrement ne recevraient aucune intervention psychologique (en raison du déficit choquant de l’accès au traitement psychologique caractéristique du système canadien), recevraient du moins une intervention significative et près d’un tiers d’entre eux s’en serviraient pour se rétablir.

     
  4. Dan Bilsker

    Vous soulignez un point important. La prestation de ce type de ressource d’autosoins doit être fondée sur la compréhension que les individus ont une capacité considérable à faire face aux difficultés psychologiques, plutôt que d’être seulement des récepteurs passifs de nos efforts sincères pour les aider. Pendant mes 20 ans de travail dans le système d’urgence en santé mentale, je nous ai souvent alarmé au fait que nous prenions la place des individus à se prendre en charge et, en quelque sorte, rendant la personne psychologiquement plus faible et plus dépendante. Votre recherche de doctorat semble très importante et susceptible de contribuer à la prise en charge des troubles de l’alimentation.

     

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