De la souffrance psychosociale à la maladie mentale : les limites de l’objectivation

L’aide aux personnes présentant un trouble de santé mentale prend sa validation clinique et organisationnelle en s’appuyant de plus en plus sur des critères mesurables et des outils standardisés, lesquels objectivent la réalité singulière des personnes aux prises avec une souffrance. La traduction de ces souffrances en termes de classification des maladies mentales et d’application de processus standardisés d’évaluation et de traitement occasionne des démarches d’aide qui, dès le départ, procèdent par une séparation du malaise d’avec la singularité du vécu de la personne, soit son contexte social. Cette démarche a l’avantage de maintenir une distance entre l’aidant et l’assisté, ce qui permet par conséquent une réduction de la contamination par les particularités affectives de chaque rencontre intersubjective.

Par contre, l’approche psychopathologique répond presque exclusivement par une responsabilisation de l’individu, devenu patient, à des problèmes qui sont fondamentalement dus, justement, à cette responsabilisation personnelle socialement déterminée. En effet, on assiste, de façon accélérée depuis quelques décennies, à un effritement des institutions sociales et des tissus sociaux qui structuraient les constructions identitaires. Cet effritement conduit à une responsabilisation individuelle dans la réussite de sa vie personnelle qui se confond maintenant complètement avec la réussite sociale. Quand on s’intéresse, au-delà des symptômes, diagnostics et comorbidités, aux personnes mobilisant les services de santé mentale, on retrouve le dénominateur commun à toute souffrance sociale : une blessure, voire un effondrement narcissique associé à une brisure de lien d’abord, dans un contexte plus ou moins important de désaffiliation sociale (travail, scolarisation, pauvreté, réseau familial et communautaire, etc.). On comprend que cette responsabilisation individuelle s’alourdit en fonction du degré d’exclusion vécue. Il est encore plus difficile pour les personnes qui vivent un tel processus d’exclusion que pour quiconque de porter sur leurs épaules le processus de rétablissement. Il suffit donc de l’aborder en prenant compte, dans l’analyse comme dans l’aide apportée, des particularités de l’environnement social de la personne. Ce qui importe le plus est la singularité de l’histoire vécue qui ne peut être réintégrée et réorientée qu’avec la création d’une nouvelle alliance intersubjective, entravée le moins possible par l’objectivation des savoir-faire prescrits. Il n’y a comme données probantes que celles qui prennent du sens et qui se construisent dans l’interaction avec la personne souffrante. C’est le lien qui répare la déliaison. Plutôt que de favoriser l’autonomie individuelle à tout prix et de se contenter d’outiller la personne face à ses malaises, on devrait viser la restauration des liaisons sociales, soit la resocialisation.

 

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