La santé mentale : une réalité éminemment sociale

Depuis des décennies, les travailleurs sociaux œuvrent dans le champ de la santé mentale en intervenant à la jonction des personnes et de leur environnement. Ils prennent en compte leur réalité subjective, leur contexte et leurs conditions de vie, leurs rôles sociaux et leur réseau, dans une perspective de rétablissement, de pouvoir d’agir, de pleine citoyenneté et de justice sociale. Malgré l’expertise développée en travail social dans le champ de la santé mentale, les interventions ciblant les déterminants sociaux tels que le revenu, le statut social, le niveau de scolarité, l’environnement physique, les conditions de logement et de travail, ainsi que les réseaux de soutien social sont souvent peu considérées dans le traitement, laissant place à des protocoles de soins axés principalement sur la symptomatologie liée au trouble.

Plusieurs tenants de la recherche sociale expliquent notamment cette tendance par la difficulté de produire des données probantes liées à ces déterminants. Or, de plus en plus, les services offerts dans le réseau de la santé et des services sociaux sont orientés par des experts qui s’inspirent de l’approche positiviste et qui accordent aux données probantes, issues des recherches par essais cliniques randomisés, une place prépondérante pour identifier les pratiques exemplaires à retenir. D’autres chercheurs attribuent le phénomène au construit social autour des logiques de performance, de productivité, d’autonomisation et d’épanouissement personnel qui prévaut largement dans nos sociétés. Selon eux, ces « dogmes » favorisent des interventions individuelles et psychologisantes, qui responsabilisent d’abord l’individu tant dans l’explication que dans la réponse à donner à ses difficultés.

Si la prédominance du discours médical et psychologique en santé mentale est établie, on constate, depuis quelques années, la forte émergence d’un courant qui traite la santé mentale comme une réalité sociale et qui reconnaît l’influence des déterminants sociaux sur la santé mentale. Ce courant propose des interventions axées sur la complémentarité des savoirs, les collaborations interprofessionnelles et l’interdisciplinarité, dans une perspective de rétablissement et de pleine citoyenneté des personnes. Il interpelle plus que jamais le savoir et la pratique des travailleurs sociaux. Témoins au quotidien des répercussions réelles qu’ont les conditions de vie des personnes sur leur qualité de vie, plus particulièrement sur leur santé physique et mentale, ils sont des acteurs clés pour aider à documenter et à comprendre la complexité des situations vécues par les personnes et les communautés tout en agissant sur cette complexité.

 

3 commentaires pour "La santé mentale : une réalité éminemment sociale"

  1. « …on constate, depuis quelques années, la forte émergence d’un courant.. ».

    Des exemples, concrets, s.v.p!

     
  2. Marie-Lyne Roc

    Bonjour Monsieur Jean,

    Voici quelques exemples concrets :

    Depuis une dizaine d’année, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) donne le ton, notamment avec le rapport de Wilkinson et Marmot (2003), la mise en place de la Commission sur les déterminants sociaux de la santé en 2005 et le rapport de la commission rendu public en 2008.

    Plus près de nous :

    Les usagers qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale et les ressources alternatives en santé mentale mènent depuis une vingtaine d’années une vaste campagne éducative pour sensibiliser les décideurs politiques et le grand public aux services et aux interventions à privilégier de façon à répondre aux besoins et aux aspirations. Leurs actions ont certainement contribué à faire avancer la recherche et à faire évoluer le discours en santé mentale. Les concepts de pair aidant, de rétablissement et d’autogestion des médicaments émanent de ce mouvement. Le dernier colloque de l’Association québécoise pour la réadaptation psychosociale (AQRP), qui a eu lieu en novembre 2012, portait sur ces questions ainsi que sur la pleine citoyenneté. Certains déterminants sociaux, tels que le logement, le travail et les études, y furent considérés comme étant des éléments essentiels au rétablissement des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale.

    Dans le même esprit, les résultats d’une récente étude menée par l’Alliance internationale de recherche universités-communautés (ARUC) démontrent, entre autres, que les principales préoccupations des usagers relèvent davantage de leurs conditions de vie dans la communauté : logement, travail, droits, etc. (http://www.aruci-smc.org) que de l’organisation des services.

    Les directions de santé publique s’intéressent depuis un certain nombre d’années aux questions reliées aux inégalités sociales, lesquelles influencent l’état de santé des personnes ainsi que leur accessibilité aux soins. Le rapport de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) de 2008 aborde justement la façon dont les inégalités sociales se créent et se perpétuent en matière de santé.

    Les travaux de Mikkonen et Raphaël (2011) portent sur les réalités canadiennes reliées aux déterminants sociaux de la santé. http://www.thecanadianfacts.org

    Les écrits de Marcelo Otero, dont son dernier livre L’Ombre portée publié en 2012, traitent notamment de la dépression dans une perspective sociale associée aux principes de performance et d’efficacité qui prévalent dans les sociétés contemporaines.

    En mai 2012, le colloque des CSSS-CUI portait sur les retombées de la recherche sociale. Au cours de cette journée, une attention particulière a été accordée aux conditions de vie associées à la santé mentale des personnes.

    Enfin, il y a quelques semaines, l’Institut du Nouveau Monde annonçait qu’il se penchera sur la question des inégalités sociales au cours des prochaines années. Dans le cadre de ces travaux, l’institut a mis en ligne un dossier sur le sujet dans le but de lancer le débat et de favoriser une discussion collective et publique.

     
  3. Excellent article dont j’appui les éléments soulevés, le travail social dans le champs de la santé mentale aurait tout avantage à s’exercer dans l’univers du social plutôt que seulement dans l’univers biomédical bien qu’en complémentarité avec ce dernier. Merci pour les nombreuses exemples concrets cités en commentaires.

     

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