La psychothérapie, c’est pour les bien-portants anxieux! : 1re partie

Beaucoup de temps s’est écoulé depuis mon dernier billet, mais j’ai une bonne raison, et celle-ci est directement liée à la question de l’accès à la psychothérapie : depuis plusieurs mois déjà, j’agis à titre de consultant externe principal pour l’INESSS, qui doit bientôt soumettre ses recommandations au MSSS sur les façons de faciliter l’accès à la psychothérapie. Dès que ce rapport sera rendu public, je vous en ferai part.

En attendant, passons aux nouvelles données que mon équipe et moi avons récemment recueillies. Dans ce blogue, à ce jour, nous avons abordé la nécessité d’un meilleur accès à la psychothérapie pour ceux qui en ont besoin, ainsi que l’efficacité et l’efficience de la psychothérapie. Cependant, nous ne savons rien de ce que font les psychologues en pratique privée au Québec.

Les données laissent croire que le système public n’est actuellement pas en mesure de répondre pleinement aux besoins de la population en matière de psychothérapie. Si nous souhaitons améliorer l’accès à ce type de thérapie, deux stratégies doivent être envisagées (seules ou conjointement) : investir massivement dans le système public pour qu’il puisse répondre adéquatement à la demande de soins en psychothérapie ou ajouter à l’équation les cliniciens qui travaillent en pratique privée, un peu comme le font déjà la SAAQ, la CSST et l’IVAC.

J’admets avoir une nette préférence pour la deuxième stratégie, pour des raisons que j’aurai sûrement l’occasion de préciser dans un prochain blogue. Mais d’abord, il parait nécessaire d’aborder un certain mythe selon lequel les cliniciens en pratique privée ne traitent que les « bien-portants anxieux », communément appelés les YAVIS (Young, Attractive, Verbal, Intelligent, and Successful), ce qui se traduirait librement par : jeune, séduisant, s’exprimant bien, intelligent et qui connaît du succès.

Si tel est le cas, alors la contribution des psychologues en pratique privée à l’amélioration de la santé mentale de la population en général risque d’être minime; il nous faudrait donc miser davantage sur le secteur public pour offrir des services, et conséquemment, y investir les fonds nécessaires qui, comme on le sait, se font rares ces temps-ci. Par contre, si les psychologues en pratique privée traitent de « vrais patients », ils contribuent déjà à offrir des services de première ligne, et nous pourrions mieux les intégrer au système afin d’accroître l’accès à la psychothérapie.

Afin de nous éclairer un peu sur ces questions, nous avons récemment effectué un important sondage auprès des psychologues. Nous vous en ferons part dans notre prochain blogue qui suivra rapidement, c’est promis!

 

8 commentaires pour "La psychothérapie, c’est pour les bien-portants anxieux! : 1re partie"

  1. Je partage sans réserve votre préoccupation relative à l’accès à la psychothérapie. J’aimerais connaître votre point de vue sur la contribution des psychothérapeutes en vue d’augmenter l’accès à la psychothérapie pour les personnes qui présentent des difficultés relativement courantes, et pour qui une psychothérapie s’avèrerait probablement profitable. Des interventions psychothérapeutiques pourraient être fort utiles pour bon nombre des personnes qui, pour toutes sortes de raisons, ne s’engageraient pas dans une psychothérapie offerte dans un mode formel. Forcément, ces interventions découlent de connaissances issues de la psychologie et de l’éducation thérapeutique, et des données probantes. Ceci dit, comment pourrions-nous mieux répondre aux besoins de ces personnes dans les services de santé publiques de première ligne?

     
  2. Martin Drapeau

    Madame Page,

    Question intéressante, d’autant qu’elle soulève certains enjeux professionnels et met en lumière, il faut bien le dire… quelques tabous aussi. D’entrée de jeu, il faut rappeler que l’exercice de la psychothérapie est règlementé au Québec. Une loi récente (souvent appelée « projet de loi 21 ») a en effet balisé l’exercice de cette activité, en plus de définir les critères de formation pour l’obtention du permis. L’avantage évident de ceci est d’une part que le public est mieux protégé et d’autre part, que l’expertise et la contribution possible en matière de soins psychothérapiques de plusieurs professionnels qui ne sont ni psychologue ni médecin, sont reconnues. Ceci permet de rendre disponible toute une main d’œuvre capable d’offrir des services de psychothérapie. Étant moi-même psychologue, ceci peut faire grincer des dents un peu, mais il nous faut bien admettre qu’après avoir complété leur formation et donc lorsque prêts à exercer, les futures psychothérapeutes seront mieux formés en psychothérapie que les trois quarts des psychologues qui ont offerts dès leur collation de grade de maitre -et qui continuent d’offrir aujourd’hui- des services de psychothérapie, la maîtrise ayant été le diplôme d’accès à la profession de psychologue jusqu’en 2006 (j’en aurais très long à dire sur la nécessité pour la profession de psychologue de se redéfinir et sur l’échec de certains regroupements de psychologues à bien préparer « l’après projet de loi 21 ». On pourrait d’ailleurs s’attendre à observer sous peu une certaine crise identitaire chez les psychologues – le thème du dernier congrès de l’Ordre des psychologues du Québec, « être psychologue », avec son accent sur les questions d’identité professionnelle n’est en ce sens pas anodin; j’y reviendrai peut être dans un autre billet).

    La main d’œuvre est donc au rendez-vous, que ce soit (éventuellement) dans le système public ou au privé. Alors « comment pourrions-nous mieux répondre aux besoins de ces personnes dans les services de santé publique de première ligne? ». Tout « simplement » en faisant en sorte que l’accès à ces services ne soit pas fonction du portefeuille de chacun. Ce n’est pas la clientèle qui est rare, ni la main d’œuvre. C’est l’argent et une véritable volonté politique qui font défaut. Pour ce qui est des thérapies de plus faible intensité, une option très intéressante, et des données probantes, probablement l’un des concepts les plus malmenés, nous y reviendrons…

     
  3. Bonjour,

    En tant que psychologue en pratique privée, je peux vous assurer que, pour employer votre expression, je « traite de vrais patients »! Je peux cependant comprendre d’où origine possiblement le mythe voulant que nous n’offrons nos services qu’aux « YAVIS ». En effet, nous ne nous le cacherons pas, l’accès à la psychothérapie en pratique privée est coûteuse, variant entre 70 et 120$ l’heure (ou les 50 minutes!), parfois plus. Les gens s’offrant ce cadeau (parce que je crois qu’il s’agit effectivement d’un beau cadeau à s’offrir!) sont généralement des gens ayant fait des études, bien nantis et articulés.

    Cela dit, aujourd’hui, de plus en plus d’employeurs de tous les secteurs offrent, grâce à leur programme d’aide aux employés, l’accès à des services de psychothérapie à leurs employés, et cela souvent sans frais. Ce faisant, pour ma part, je reçois une clientèle très diversifiée (jeunes et moins jeunes, ayant la parole facile ou non, étant bien nantis ou pas, etc.). Toujours en ce qui me concerne, j’apprécie énormément pouvoir offrir mes services à des personnes très différentes les unes des autres; c’est ce qui fait que mon travail est stimulant!

    Oui… facilitons l’accès à la psychothérapie!

    Geneviève Paquette, psychologue et psychothérapeute

     
  4. Martin Drapeau

    Madame Paquette,

    Je suis plutôt hésitant à parler de « cadeau ». Un traitement médicalement requis ne devrait pas être un cadeau, mais bien une nécessité! Pour ce qui est des frais, eh bien, nous avons demandé aux psys ce qu’il en était. Pendant longtemps, et encore récemment, l’ordre des psychologues rapportait des tarifs (entre $80 et $120) pour les services de psychothérapie, mais le faisait en s’appuyant uniquement sur des données anecdotiques. Voici ce que nous avons plutôt trouvé : pour les psychologues francophones, ils varient plutôt entre $55 et $130 (M=$95, ÉT= $14), pour les psychothérapeutes francophones ils varient entre $50 et $130 (M=$86, ÉT=$13). Du côté anglophone, pour les psychologues ils varient entre $80 et $160 (M=$117, Md=$120, ÉT=$22), et de $45 à $132 pour les psychothérapeutes (M=$107, ÉT=$20).

    Continuez à m’écrire et à partager vos expériences! Votre enthousiasme est rafraichissant!

     
  5. Merci de consacrer vos efforts de recherche à une thématique aussi importante. Pour me part, je dirige une équipe de professionnels dans un PAE de la fonction publique québéçoise. Je suis à même de constater que les psychologues en pratique privé ne traitent pas que les YAVIS, loin de là. J’attend avec impatience les résultats de votre sondage. Je demeure toutefois préoccupée par ce que j’appelle la quantité de soin offerte aux clients. Vos recommandations devront proposer une couverture financière suffisante pour espérer une réelle amélioration de l’état psychologique des personnes. J’avoue être très préoccupée par les modèles proposés par la plupart des PAE des firmes privées qui prônent, ou vendent, des suivis de plus ou moins 5 rencontres en prétendant à une efficacité court terme quasi miraculeuse, alors qu’une bonne part des employés qui consultent sont absents du travail, diagnostiqués en santé mentale, très souffrants. Vos recommandations viendront en appui, je le souhaite, aux efforts à faire pour convaincre les employeurs d’investir davantage, eux-aussi, en santé mentale.

     
  6. Martin Drapeau

    Madame Mc Collough,

    Et pourtant, les données compilées auprès de milliers de personnes, notamment en Angleterre et en Australie où les coûts de la psychothérapie sont assumés par l’état, indiquent que les usagers n’utilisent habituellement que… cinq séances. Ceci est par ailleurs cohérent avec les recherches sur les processus psychothérapiques, lesquelles indiquent qu’un changement au niveau de la symptomatologie se produit souvent après environ six ou sept séances. Évidemment, la question qui se pose alors est de savoir si un changement initial dans la symptomatologie est suffisant… La recherche nous indique, du moins pour la dépression, que la réponse est « non »…

    Nous aimerions tous être en Cadillac. Idéalement, aucune limite au nombre de séances ne devrait être fixée. Nous savons d’ailleurs que les gens ne consultent pas pour rien; lorsqu’ils vont bien, ils mettent fin au service. Néanmoins, une telle approche -sans mécanisme de contrôle des coûts- se vend mal, et rendrait plus d’un gouvernement nerveux…

     
  7. La question de la gratuité de la psychothérapie fait intervenir l’enjeux des coûts et celui de la place des services publics dans l’ensemble des services psychothérapeutiques offerts.

    Suggestion : entre l’option du statu quo actuel et celle de la gratuité (payée par l’état). est-ce que l’on pourrait considérer que les séances de psychothérapies soient complètement déductibles d’impôts? Actuellement, il faut avoir beaucoup de factures de soins de santé pour que l’excédentaire (total des frais de santé de l’année moins 3% du revenu annuel) devienne déductible (bref, peu utile pour la majorité des gens qui veulent consulter).

    Cette option laisserait un coût pour le demandeur de soins, mais qui resterait en fonction de ses revenus. Les services publics pourraient compléter l’aide en continuant à offrir des services courts/moyens terme gratuitement pour, entre autres, celles et ceux qui sont très démunis et/ou qui ont besoin de services plus complexes (travail d’équipe multidisciplinaires, etc.).

    Enfin, ça me semblerait une amélioration par rapport à maintenant. Ça pourrait enlever un peu de poids qui est actuellement sur les services publics.
    Qu’en pensez-vous?

     
  8. Martin Drapeau

    Bonjour monsieur Jetté,
    L’idée est bonne mais plusieurs personnes, malheureusement, n’ont pas du tout d’argent à avancer pour couvrir les frais de la thérapie en attendant un retour ou remboursement, quelle qu’en soit la forme. Si le but est de faciliter l’accès, ce pour toute personne qui en aurait besoin, il serait probablement plus utile d’avoir un système qui rembourse directement le clinicien pour ses services. Ce remboursement pourrait se faire à tarif fixe, un peu comme le font la SAAQ ou l’IVAC. J’ajouterais même que le clinicien devrait avoir le droit de facturer, si applicable, la différence entre le montant remboursé et son tarif habituel directement au client. L’IVAC et la SAAQ le font déjà.

    Ceci peut paraitre contre-intuitif si l’idée est d’accroitre l’accessibilité. Cependant, il faut que le système que l’on choisira de mettre en place soit suffisamment flexible pour rendre compte des différences de coûts de l’exercice en privé, ne serait-ce que pour des considérations de coûts de loyer en fonction de la région, pour que suffisamment de cliniciens adhèrent au programme. Par ailleurs, en permettant de facturer la différence, nous aurons probablement une distribution plus normale (au sens strictement statistique) des tarifs, si bien que ceux qui n’ont aucune ressource trouveront des cliniciens dont les services sont entièrement remboursés par l’État, et que les autres trouveront des services dont les tarifs sont à la mesure de leur capacité de payer.

     

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