La psychothérapie, c’est pour les bien-portants anxieux! : 2e partie

Au cours des derniers mois, mon étudiante, Stacy Bradley, et moi avons mené plusieurs sondages visant à faire un état de la situation quant à l’exercice de la psychothérapie en bureau privé et dans le système public, ainsi qu’à obtenir l’opinion des psychologues, psychothérapeutes et médecins de famille quant aux modalités à mettre en place pour faciliter l’accès à la psychothérapie. Contrairement à ce qui est fait dans le système public, dans d’autres professions ou même ailleurs dans le monde, aucune donnée n’est colligée sur la pratique des psys en bureau privé. Cela est surprenant et, surtout, représente un problème important quand il s’agit de voir comment l’accès à la psychothérapie peut être facilité. Mais revenons à ce mythe que je voulais prendre de front : les psys en bureau privé contribuent peu au système de santé, puisqu’ils ne traitent que les fameux « YAVIS ». Eh bien, les données que nous avons colligées auprès de 700 psys ─ un échantillon représentatif ─ indiquent qu’on peut en douter.

  • Lorsque nous avons demandé aux répondants de nous dire à quelle fréquence ils étaient confrontés à diverses problématiques dans leur pratique, 70 % ont indiqué qu’ils rencontraient souvent ou très souvent des patients qui avaient de la difficulté à s’ajuster à divers facteurs de stress dans leur vie. Ce pourcentage était de 50 % pour les difficultés de couple, de 20 % pour le deuil, et de 24 % pour des problèmes liés à une condition médicale. Pour les problèmes plus existentiels, ce pourcentage était de 44 %, certes élevé, mais inférieur au 60 % associé à des troubles psychiatriques. En effet, les psys en bureau privé rencontrent plus souvent des patients présentant des troubles psychiatriques que des problèmes existentiels.
  • Plus de 80 % des répondants ont des patients qui consultent principalement pour un ou des troubles anxieux; ce pourcentage est de près de 70 % pour les troubles de l’humeur.
  • Seuls 6 % des répondants n’ont aucun patient avec des idées suicidaires.

Les psys en bureau privé participent donc à offrir des soins de première ligne dans un monde parallèle à celui du système public. De vrais soins prodigués à de vrais patients aux prises avec de vraies souffrances. Fini le mythe du « YAVIS »!

 

4 commentaires pour "La psychothérapie, c’est pour les bien-portants anxieux! : 2e partie"

  1. Bonjour M. Drapeau,

    Je travaille en 1ère ligne en santé mentale adulte et j’ai plusieurs amis qui travaillent au privé et avec qui j’échange couramment de nos pratiques et de nos clientèles respectives.
    Je suis d’accord qu’il faut défaire le mythe que le privé ne déssert que les clients «Yavis».
    D’après ce que j’observe, ça me semble effectivement faux. Par contre, si je compare la clientèle des gens de mon équipe (en 1ère ligne) à celles de mes collègues du privé, je fais le constat suivant que je résumerais ainsi : malgré une clientèle commune, mon équipe semble traiter beaucoup plus de patients ayant des problèmes chroniques et/ou sévères et/ou de comorbidités qu’il semble y en avoir dans la clientèle générale du privé. Entendez-moi bien. Je n’affirme pas qu’il n’y a pas de cas «complexes» dans le privé, loin de là. Mais, je dirais qu’il semble y en avoir beaucoup plus dans les services publics.

    Bon, ce n’est que mon impression et ce commentaire n’est pas le résultat d’un sondage exhaustif. Mais, je pense que cet aspect est important à prendre en compte lorsque l’on fait une comparaison de clientèles de psychothérapie public-privé. Et si mes impressions s’avéraient fondées, nous pourrions toujours affirmer que le privé contribue à offrir des services de 1ère ligne à celui du système public. Mais, il faudrait ajouter des bémols lorsque l’on compare la complexité de la clientèle que ces deux milieux désservent de façon générale.

     
  2. Martin Drapeau

    Bonjour monsieur Jetté,
    Nous colligeons présentement des données similaires sur le réseau public. J’espère donc pouvoir vous soumettre une réponse bientôt. En attendant ces données, je dois dire que je suis plutôt d’accord avec vous (j’ai été plusieurs années à l’hôpital Général Juif – SMBD de Montréal, et c’est effectivement l’impression que j’ai), bien que cela dépende évidemment de chaque milieu. N’oublions pas non plus que les services varient, dans le réseau, selon que l’on se situe en première, deuxième ou troisième ligne. Tant mieux si les patients vus au public ont des problématiques plus complexes, car ce milieu est mieux outillé pour servir une population qui présenterait de telles problématiques. Cependant…

    … on pourrait imaginer que le privé pourrait, si l’accès en était facilité, voir d’autres patients avec des problématiques « moins » complexes qui sont présentement vus dans le réseau, désengorgeant de ce fait le réseau et lui permettant sûrement de consacrer plus de temps à des patients qui ont besoin de services plus spécialisés.

    … on pourrait même imaginer que si les services au privé étaient couverts, la complexité des cas vus au privé irait en augmentant. Les gens qui sont en mesure de payer pour des services ont bien souvent plus de ressources, à plusieurs niveaux, que ceux qui sont absolument incapables de payer, ces derniers présentant sans aucun doute plus de problèmes de pauvreté, avec tous les défis qui viennent avec.

    Enfin, pourquoi ne pas considérer la mise en place de « corridors » de services entre les cliniciens au privé et les services plus spécialisés du réseau? Lorsque nous avons mené notre enquête, nous avons constaté que seule une minorité des cliniciens au privé, lorsque confrontés par exemple à une possible dépression, invitait le patient à faire faire des tests par son médecin afin d’exclure de possible causes médicales. On est loin, très loin ici, d’une pratique optimale.

     
  3. Nous rencontrons des personnes avec des difficultés majeures. Qu’est-ce qui fait que nous( du privé) recommandons souvent des personnes dans le système publics ?
    Pour nous, la situation n’a rien à voir avec la gravité du trouble ou du sentiment que l’autre (public) serait plus approprié.
    Dans le para-public, tous les professionnels semblent plus protégés. La présence des md, des autres professionnels et du «système en soi» protègent individuellement tout le monde alors qu’en privé loin est d’être le cas.
    Qui a déjà traité cette question ?
    Je me souviens, qu’un collègue du public me faisait une référence en privé. Je refusais la référence, non pas parce que nous ne nous sentions pas en mesure de rendre le service mais la probabilité du suicide était tellement présente que seul un professionnel en privé ne pouvait prendre ce risque. En privé, il n’y a pas la même de protection pour le professionnel qu’au public.
    J’aimerais que cette question soit posée pour discussion.
    Merci 1

     
  4. Martin Drapeau

    Bonjour madame Richard,
    Ce que vous soulevez comme hypothèse est très intéressant. On est souvent porté à dire que ces références du privé vers le public se font en raison des services, plus complets parce qu’interdisciplinaires, que le réseau peut offrir. Effectivement, il y a le risque à prendre aussi en considération – à ma connaissance ceci n’a jamais été investigué. Ceci dit, n’oublions pas que le médecin en cabinet voit aussi des patients qui peuvent être suicidaires, sans toujours être en mesure de le référer à une large équipe interdisciplinaire du réseau… Y aurait-il donc d’autres explications à prendre en considération?

    Une qui me vient à l’esprit est que les psychologues et psychothérapeutes exercent beaucoup plus que les médecins en pratique « solo », c’est-à-dire complètement seuls. Personnellement, je crois qu’il faudrait encourager ces cliniciens à exercer en groupe… Le clinicien qui travaille seul peut avoir l’impression que le risque est grand s’il prend des patients avec des problématiques un peu plus complexes. Je crois que son impression est souvent justifiée, du fait justement qu’il travaille en solo.

     

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